L’aube du XXème siècle fut le temps d’un embrasement en peinture, et Le Havre a été un foyer essentiel de cette effervescence. Une École des beaux-arts dynamique et tellement singulière y instruira Georges Braque, personnage cardinal du cubisme. Elle a formé aussi Othon Friesz et Raoul Dufy, deux havrais pionniers du fauvisme. Les frères Henri et René de Saint-Delis en sont également l’orgueil. L’idéal de peindre a gouverné leurs vies, et ils ont fait grandement mieux qu’un noble usage de leurs dons.

 

Comme leurs illustres complices, ils ont tranché les amarres avec les vieilles idoles et les alambiquages anémiés ; ils ont tracé des chemins originaux en se préservant de tout éréthisme extravagant. Adeptes des couleurs sonores et distinguées, des harmonies subtiles, leur œuvre est éminemment moderne au sens où la forme y succombe à la lumière. Avec science, avec grâce et audace, avec une grande sobriété de moyens, ils ont su dire la part d’éternel dans ce qui est fugitif ; ils ont enlevé le réel au temps, mais sans altérer l’émotion. 

 

Leur art exigeant, vivant et vibrant, leur souci de synthèse, ont produit des œuvres que porte un souffle original et fort. Henri de Saint-Delis, avec son génie primesautier, aussi difficilement classable que le fut Félix Vallotton, est présent dans de nombreux musées, jusqu’au Metropolitan Museum of Art de New-York. Et René de Saint-Delis, magicien de la pâte éclatante, poète de l’instant, fut largement représenté dans la prestigieuse collection de l’industriel rouennais François Depeaux. Une parenté avec les maîtres intemporels est défendable pour l’un comme pour l’autre.

 

Gérard Bonnin allie à son expertise une plume flexible, imagée et élégante. Alliant une rigueur historique et une imagination pérégrine, il s’empare de l’attention du lecteur pour le conduire dans l’environnement des peintres. Le livre fermé, chacun sera surpris d’avoir à méditer sur une vision du beau qui s’est élargie.