Jelka ROSEN
(1868–1935)
Helena Sophie Emilie ROSEN (dite Jelka Rosen) avait son berceau familial en Royaume de Prusse, mais elle est née à Belgrade où son père était consul. L’éminente culture familiale se partageait entre la musique, la philosophie, l’histoire et la diplomatie. L’éducation polyglotte y était aussi de règle. À la mort de son père, en 1892, Jelka et sa mère s’installent à Paris au 16 rue de la Grande Chaumière. Et Jelka s’inscrit à l’Académie Colarossi, à deux pas de chez elle, pour y suivre – avec conscience – des cours de peinture.
En 1897, sa mère et elle achètent une maison de campagne à Grez-sur-Loing (entre Nemours et Fontainebleau). Le compositeur anglais (mais de parents allemands) Frédérick (Fritz) Delius (1862 – 1934), que Jelka avait rencontré en 1896, l’y rejoindra ; tous deux partageaient une inclination pour Grieg et une révérence pour Ibsen et Nietzsche ; ils se marieront à Grez en 1903. Jelka garde un pied à Paris, fait partie des habitués du Café du Dôme, fréquente Camille Claudel (ancienne de l’Académie Colarossi) et aussi Auguste Rodin.
Chemin à Grez-sur-Loing.
Jelka Rosen expose dès 1903 à la fois au Salon d’Automne et au Salon des Indépendants. Elle le fera très régulièrement jusqu’à la Grande Guerre, durant laquelle sa nationalité d’origine l’incitera à la réserve, le couple choisissant alors de résider en Angleterre. Mais, cette période passée, elle cessera de peindre pour se dévouer à son mari, travaillant avec lui pour les compositions, les livrets et faisant toutes les traductions nécessaires. Un certain succès était certes venu pour ce compositeur original qui disait son lyrisme en gamme chromatique, mais la maladie (syphilis tertiaire) le handicapait de manière croissante, nécessitant une assistance continue.
La période de création de Jelka Rosen est donc concentrée sur une dizaine d’années. Elle avait (comme son amie Ida Gerhardi) une prédilection pour les jardins, ceux de Grez-sur-Loing le plus souvent ; elle les peignait en une luxuriante polyphonie de couleurs. Cette écriture singulière, elle la conservait quand elle portraiturait des personnages, féminins souvent avec des allures de nymphes germaniques. Et dans ce genre, elle donna souvent aussi des figures d’enfants norvégiens, ayant voyagé plusieurs fois avec son mari au pays de Grieg. C’est d’ailleurs Une enfant norvégienne avec beaucoup de caractère qu’elle montrera au Cercle de l’Art Moderne havrais en 1907. Et puis, une de ses dernières œuvres connues est un portrait de Delius qui date de 1912.
Delius dans le jardin de Grez.
Son œuvre, d’une absolue originalité, se situe entre pointillisme et fauvisme. Cette singularité sera vite remarquée, et Jelka Rosen sera acceptée, sollicitée même, par les tenants de la Modernité. Son travail est aérien, lumineux, délicat, harmonieux et un brin mystérieux. Quelques critiques ont vu sa peinture comme artificieuse, peu compréhensible, alors qu’elle est subtilement poétique et souventefois d’une naïveté enchanteresse. Ses réalisations montrent caractère, tempérament et audace. Personne d’autre qu’elle n’a su jouer d’accords insolites entre des roses groseille et des jaunes bouton d’or avec une telle finesse.
Jelka Rosen a aimé la peinture bien sûr, mais a montré une dévotion plus grande encore à Frédérick Delius. Son œuvre a été grandement oubliée. Le projet est de faire revivre ce regard étonnant qu’elle posait sur le monde. Sur sa vie, sur son œuvre, trop d’éléments sont manquants ; le projet est de réveiller l’ensemble.